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Une année dans l’écosystème entrepreneurial malien

Pendant 12 mois, j’ai eu l’immense opportunité de travailler comme responsable de la communication de l’un des plus grands incubateurs du Mali. Cela m’a permis d’être au cœur de l’évolution de l’entrepreneuriat dans ce pays qui saigne par l’insécurité et la précarité, où la majorité de la population est jeune et sans emploi. Un monde à la fois fascinant et troublant, où les échecs sont plus nombreux que les réussites. Un monde qui balbutie, peine à trouver son chemin mais a de beaux jours devant lui.

Entre rêve et désespoir, mythe ou réalité voici mes impressions sur l’écosystème entrepreneurial du Mali. 

Etre déjà entrepreneur au Mali est un terme qui fait référence à des jeunes qui ont des idées d’entreprises mais avec un caractère fort innovant surtout dans le domaine des technologies. Quand on parle entrepreneuriat, au Mali on fait fi de toutes les braves vendeuses au grand marché, des boutiquiers dans les quartiers, des maraîchers dans l’ACI 2000, bref de tous ceux qui dans l’économie informelle n’ont pas attendu la surmédiatisation de entrepreneuriat comme panacée au manque d’emploi des jeunes pour faire quelque chose, qui n’ont pas lu Jack pour entreprendre, ni écouté Marc Zuckerberg.

L’espoir est permis

On ne peut que croire et garder espoir en de meilleurs lendemains quand chaque jour tu rencontres un jeune qui nonobstant la crise sécuritaire, la pauvreté, l’absence de business angels, tente de créer de la richesse et de l’emploi. Et très souvent, avec la foi en leurs idées comme fond de départ.                  Beaucoup n’ont même pas assez de fond pour se permettre une incubation afin d’avoir des connaissances basiques pour entreprendre. Mais malgré tout, ils essayent, ils se battent. Comme tout effort mérite récompense, certains arrivent à décoller et beaucoup périssent. Ceux qui réussissent à démarrer après quelques mois ferment boutique, car vont manquer de fonds pour s’étendre, de compétences et d’outils pour croître et prospérer.

Il faut au préalable un environnement propice, protecteur et incitatif pour soutenir la réussite de entrepreneuriat. Il faut des structures d’accompagnement avec des ressources adaptées et disponibles pour accompagner les entrepreneurs. Il faut un écosystème solidaire et généreux pour fédérer les énergies et construire le futur et résoudre les défis de l’heure. C’est ainsi que nous pouvons promouvoir entrepreneuriat par ricochet pour permettre aux jeunes de résoudre les défis du pays et créer de la richesse.

Un écosystème solidaire et tourné vers demain

Au Mali, le grand problème de l’écosystème entrepreneurial, réside dans l’absence d’écosystème. Les efforts sont lézardés, les initiatives polarisées. D’un côté, les incubateurs et de l’autre, les entrepreneurs. Les partenaires par ci et les financiers par là. Il n’y a pas une vraie passerelle de communication entre toutes ces composantes pour coécrire le destin de l’entreprenariat. 

Un écosystème doit au moins permettre de regrouper certaines compétences, faciliter la collaboration avec qui le veut. Il doit permettre aux uns et autres d’avoir accès à des ressources, de bénéficier du soutien et de la lumière d’autres personnes, de partenariat avec d’autres structures. Mais cela n’est possible que quand on instaure la communication. Et même la communication ne suffit pas, il faut aussi une vision ambitieuse et un leadership éclairé pour rassembler et enclencher la marche vers l’émergence. Et ce n’est qu’en se rassemblant qu’on peut influer sur les politiques, attirer les investisseurs. C’est en partageant qu’on peut grandir et apprendre les uns des autres et permettre à chacun d’évoluer rapidement.

La formation des formateurs sur entrepreneuriat

Il y a surabondance de formateurs sur l’entreprenariat au Mali, et les formations vont bon train. Malgré tout, les entreprises ne décollent pas, les entrepreneurs tardent à faire du profit.  Cela m’amène à douter de la légitimité de certains formateurs qui n’ont aucune expérience avérée dans l’entreprenariat, et n’en savent pas plus que ce que disent les tutoriels sur YouTube.                                                                                 Les modules de formation et même dans les incubateurs ne sont pas forcément adaptés aux réalités et à la complexité du Mali.

Cela explique l’échec de plusieurs entreprises car n’ayant pas les outils adaptés aux réalités du pays. Les compétences pour faire face au marché. A un niveau collectif, l’incidence se fait ressentir aussi : on n’arrive pas à concurrencer les produits étrangers, séduire nos consommateurs, occuper le marché.

Des concours et de conférences encore et encore

C’est paradoxal mais au Mali les entreprises qui gagnent les concours sont celles qui marchent le moins. Pourtant c’est l’un des moyens ou le seul pour avoir un fond d’amorçage. Les concours sont aussi ce qui amenuise l’ardeur des jeunes entrepreneurs et les font croire que réussir un concours c’est avoir un business rentable. On tarde à voir l’utilité des concours sur les entreprises car pour la plupart, les fonds gagnés sont utilisés à des fins personnelles et non pas aux besoins de l’entreprise. Il serait bien de conditionner les financements ou de mettre en place des programmes de formation et de suivi des bénéficiaires. Aussi gagner un concours ne suffit pas, il faut travailler pour gagner et fidéliser les clients.

Durant toute l’année le nombre de conférences, de rencontres et ateliers sont incalculables. Même s’ils permettent de faire de rencontres utiles, d’apprendre des autres et d’être au fait de l’actualité, aucun entrepreneur sérieux n’a le temps de participer à toutes ces rencontres. Alors que les jeunes sont dans les conférences, d’autres entreprises étrangères sont sur le terrain et font de l’argent. Ça peut être cool de poster des selfies lors des conférences mais ça n’aide en rien le développement de son entreprise.  

L’hypermédiatisation précoce

Beaucoup de jeunes entrepreneurs souffrent des médias. A peine ayant démarré qu’ils font la une de tous les médias. Alors qu’ils n’ont pas encore la maturité pour gérer la célébrité et la vie d’entrepreneurs. Ils enchaînent voyages et conférences et au final avec des entreprises mort-nées On n’entreprend pas pour être célèbre mais faire du profit. Participer à des évènements et partager sur les réseaux sociaux ne fait pas de nous un entrepreneur.

Une entreprise qui ne communique pas est une entreprise en agonie.

Il faut savoir travailler et communiquer efficacement pour développer sa boite. Si beaucoup d’entrepreneurs savent se mettre en avant sur les réseaux sociaux, il en est autrement pour leurs produits et services.  Ils ne font jamais appel aux experts en communication pour élaborer un plan de communication. Mais plutôt à n’importe quelle personne qui est capable de faire une publication sur Facebook. Aujourd’hui, il faut travailler sur son image, investir dans la communication pour élaborer et vendre ses produits ou services et assurer une présence sur internet. Sans une bonne communication toute entreprise est vouée à l’échec. L’absence de communication est aussi nuisible que peut être mortelle la mauvaise communication.

Entrepreneur, être ou ne pas être

Quand on est entrepreneur, on l’est à plein temps.  On ne peut pas être entrepreneur et salarié ou entrepreneur selon les occasions et les opportunités. C’est tout un mode de vie et c’est synonyme de sacrifice, de transpiration, d’apprentissage etc. On ne peut pas être entrepreneur sans se connaitre, sans investir dans sa propre formation car cela exige des compétences et du savoir-vivre. Il faut épurer le concept d’entreprenariat et montrer que c’est le travail, le sacrifice. Tant que nous serons focalisés sur les concours et les conférences, d’autres personnes viendront travailler et profiter des richesses de nos pays.

Je pense que entrepreneuriat a de beaux jours devant lui. Les opportunités au Mali sont immenses et inexploitées. Nous avons la possibilité de créer des solutions à nos propres défis. La possibilité de créer la richesse pour tous.

Je ne suis pas entrepreneur, ça peut sembler déplacé d’écrire et de partager ces lignes mais si je ne le fais, ça serait égoïste. C’est ma lecture de entrepreneuriat et j’espère que ça sera utile a tout l’écosystème entrepreneurial.

  

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Auteur·e

makaveli

Commentaires

Rouky
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"Ne Agrandissez pas avant votre entreprise" je retenais cette phrase lors de The meet. Et c'est le plus grand défaut qui font sombrer beaucoup d'entreprise au Mali. L'entreprise est mort née, comme tu le dis, puisque l'on pense que l'idée seule suffit. On a l'idée de faire ceci mais concrète qu'en est il? De par cette idée et quelques rencontre et relation, on se voit déjà grand. Je n'en sais rien de l'entrepreneuriat aussi mais j'aimerais paraphraser cette phrase d'un grand philosophe, "Rien de grand ne se réalise sans sacrifice". Travaillez, prenez de la peine, sacrifiez vous. Bonne et heureuse année !

Youssouf Sall
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Belle façon d'exprimer ses opinions. Je suis d'accord sur beaucoup de point. Bonne chance à toi.

KEITA Bakary Issa
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Merci à Monsieur Makaveli pour cette analyse audacieuse et combien réaliste de l’écosystème entrepreneurial au Mali.
Je souhaite que les jeunes entrepreneurs ou candidats à l’entreprenariat, et de façon générale les entrepreneurs maliens, puissent la partager et l’adopter.

Diarra Bilaly
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Bonsoir Mr Traore,
Je suis vraiment ému, tout ce que tu viens dire est le vrai réalité de notre société dans le domaine de l'entreprenariat au Mali. Devenir un entrepreneur c'est un peu facile mais s'épanouir dans l'entreprenariat et atteint la maturité c'est là le vrai combat d'un entrepreneur ; car il leurs manque la communication, l'auto formation et la formation des agents de l'entreprise.
Je t'encourage

Maré Ibrahim
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Très instructif

Dama
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Très très pertinents comme analyse. Chapeau

Ouologuem
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Très bel article cher ami. J'ai adoré ton analyse sur cet écosystème entrepreneurial Malien. Je partage ton point de vue sur bien des aspects et espère que cette jeunesse consciente sera capable de transmettre le message pour qu'il fasse écho dans les oreilles des différents acteurs concernés. Bonne continuation!

bankassien 2
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Bonsoir monsieur. Je m'empresse de te feliciter pour cette analyse. Je suis aussi a 85% de ton avis. J'ai bcp d'interrogation sur les gagnants des concours dans le domaine. Trop de voyage pour un jeune entrepreneur tue son entreprise.

Sekou Diané
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Article très intéressant. J'ai créé un blog WordPress, Mais je ne connais pas toutes les ficelles du bloging, J'aimerais bénéficier de votre expérience .

Oumar Ben
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Très beau texte et très belle analyse de l'écosystème entrepreneurial.
Je suis très d'accord avec cette phrase "Quand on est entrepreneur, on l’est à plein temps."

Djibril
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Très pertinent mon frère, et sache que c'est presque la même chose un peu partout au Sahel. C'est pourquoi notre cabinet de Formation en entreprenariat s'est tourné vers ces acteurs de la société pour les aider, dans un programme de la maison de l'entreprise de mon pays.